Le Kan ar Bobl, une belle histoire
Que ce soit dans le sport, dans la musique, la danse ou le chant, les Bretons, comme leurs cousins celtes, ont toujours aimé se mesurer les uns aux autres. Le paysage culturel de la péninsule est constellé de festivals durant lesquels ont lieu des concours où se pressent autant les spectateurs que les compétiteurs. Le Kan ar Bobl, créé en 1973, est un de ceux-là.
L’inspiration irlandaise
C’est justement en Irlande, en 1972, que Polig Monjarret (entre autres fondateur de la Bodadeg ar Sonerion) trouva l’idée d’un concours qui permettrait de fédérer et stimuler la nouvelle scène musicale bretonne, alors en pleine effervescence. Il s’y rend pour assister au Celtavision, un concours télévisé destiné à mettre en valeur les musiciens du monde celtique et auquel avait participé Alan Stivell l’année précédente.
Il découvre aussi, le Fleadh Cheoil. Ce festival (créé en 1951) de musique se déroule en plusieurs étapes et aboutit à une finale s’étalant sur plusieurs jours. Les musiciens sont sélectionnés au préalable dans tous les comtés d’Irlande, mais aussi au Canada et aux Etats-Unis. Cet événement est suivi par des dizaines de milliers de spectateurs et des milliers de musiciens finalistes.
C’est une compétition, mais aussi un moment de rencontres agrémenté de concerts, de parades, de sessions. Il permet à la musique irlandaise de se stabiliser dans le présent et s’inscrire dans l’avenir.
Impressionné par l’extraordinaire vitalité de l’événement et la grande qualité des musiciens, Polig Monjarret se prend à rêver voir la même chose en Bretagne.
Sous les auspices de l’Interceltique
L’idée est évoquée à Lorient avec le comité du Festival interceltique de Lorient (héritier du festival de cornemuses de Brest), présidé par Pierre Guergadic. La force de persuasion et l’enthousiasme de P. Monjarret convaincra l’équipe qui annoncera à la presse, en octobre 1972, la naissance d’un concours. Il prendra le nom de Kan ar Bobl, le chant du peuple… simple traduction de « folk song ».
La participation au concours est soumise à la présentation d’une œuvre du répertoire breton, ou s’en inspirant.
La première édition du Kan ar Bobl a lieu le 14 avril 1973, au Palais des Congrès de Lorient. A l’inquiétude des organisateurs, les musiciens répondent présents. Ils viennent de toute la Bretagne, de Brest à Clisson, par leur propres moyens.
Sous un soleil printanier, le public a lui aussi fait le déplacement et investit peu à peu le Palais qui accueillera 1200 spectateurs en soirée.
Sur scène se succèdent des formations bien décidées à imprimer leur marque à la musique Bretonne ; Diaouled ar Menez, Dir ha Tan, Bleizi Ruz, et qu’on suivra pendant les décennies à venir. On y rencontre aussi Youenn Gwernig de retour d’Amérique. Certains groupes sont plus inspirés par l’Irlande comme Satanazet (avec les frères Molard). Le Pays nantais est bien sûr de la partie avec Skloferien, Kouerien Sant Yann, En Endreziz…
Dans la salle le public ne tient pas en place et prend très vite possession des travées pour des chaînes endiablées et libératrices, jusqu’à l’aube du lundi. Les organisateurs avaient réussi leur pari.
Le KAB, victime de son succès
Dans les années qui suivent, le succès ne se dément pas. En 1975, ce ne sont pas moins de 500 musiciens qui se sont inscrits, dont de nombreux harpistes. Cette inflation de candidatures n’est pas sans compliquer la tâche des organisateurs et des jurés.
Dès cette années sont imaginées des éliminatoires dans cinq pays (Spézet, Rostrenen, Saint-Yves-Bubry, Rezé-les-Nantes, Jugon-les-Lacs). Ce sont les rencontres de pays. Cette initiative décentralisatrice encourage des chanteurs locaux qui n’auraient peut-être pas osé venir à Lorient.
Un évènement incontournable en Bretagne
Jusqu’au delà des années 70, le Kan ar Bobl sera un rendez-vous incontournable en Bretagne. Les prestations sont parfois inégales, mais c’est une véritable fête familiale. On y voit émerger de nombreux talents tels Yann-Fañch Kemener, Roland Becker…
Déjà présente, la harpe celtique y trouve ses lettres de noblesse. Les groupes d’enfants font une timide apparition en 1978. Le KAB sera par la suite pour les écoles immersives Diwan et les classes bilingues publiques ou privées un lieu de visibilité.
Le concours est parfois sujet à critique et controverses. Qu’importe. Le niveau global des musiciens ne cesse de s’améliorer, le goût du public évolue lui aussi de manière positive, il devient plus exigeant.
Vogue le navire, sur les rives du canal de Nantes à Brest
En 1993, le Kan ar Bobl quitte la côte. Il s’implante au cœur de la Bretagne, à Pontivy, pour permettre un plus grand rayonnement. Quatre ans plus tard, le festival interceltique passe la main à un collectif d’associations bretonnes de la ville (Radio Bro Gwened, Dastum Bro Gwened et Daomp d’ar skol) s’appuyant sur leur dynamisme et savoir-faire pour organiser la Finale.
L’association Kan ar Bobl est créée le 28 novembre 1997. Elle regroupe les associations organisatrices de la finale mais aussi celles organisatrices des rencontres de Pays.
Pierre Le Padellec en est le premier président. Sous sa houlette, les rencontres de Pays se développent et dépassent même les frontières bretonnes avec des rencontres organisées à Paris et en Touraine.
Un formidable révélateur de talents
Malgré la baisse de fréquentation de la finale à la fin des années 80, les rencontres de pays resteront très vivantes. Elles seront aussi le tremplin pour la jeune génération qui émergera dans les années 90, celle qui donnera un nouveau souffle aux festoù-noz.
Outre les chanteurs et groupes cités dans les paragraphes précédents, le Kan ar Bobl révéla, ou encouragea, des noms aujourd’hui très connus comme Denez Prigent, Kristen Nikolaz, Annie Ebrel, Marthe Vassallo, Nolwenn Korbell… ou les groupes Ar Re Yaouank, Storvan, Karma…
La formule est mêmes reprise, donnant naissance à de nouveaux festivals et concours, preuve de son caractère visionnaire. Le Kan ar Bobl reste toutefois le seul concours dédié au chant en breton, et en gallo.
Après l’annulation de l’édition de 2020 pour cause de crise sanitaire, le KAB se renouvelle et propose en 2021 une édition filmée en ligne. La culture populaire bretonne a survécu à beaucoup d’aléas, elle survivra à cette crise.